T. VesaasTarjei VESAAS (1897-1970)

Poète, romancier, nouvelliste, Tarjei Vesaas est l'un des très grands écrivains de ce siècle.
Rares sont les auteurs qui avec autant d'apparente simplicité dans l'expression sont ainsi parvenus à rendre compte de l'ineffable, à capter l'écart entre la banalité du dit et l'essentiel de ce qui par crainte ou impuissance ne peut qu'être tu.

Rien de tapageur chez ce Norvégien du Telemark, vieille province où l'homme vit à l'écoute d'une nature aussi rude que prodigieuse: "une montagne qui peut parler, c'est rassurant".
Plutôt que de chercher des réponses à
l'énigme du monde, Vesaas lui adresse une interrogation tout le long de son œuvre.

Dans "Une belle journée", le dernier de ses quatre recueils de nouvelles, paru à Oslo en 1959 entre deux romans majeurs : Les Oiseaux et L'Incendie, le "cela" qu'il questionne désigne tantôt la mort (inscrite dans l'ordre naturel et perçue non comme une fin, mais comme un point d'orgue), tantôt le mystère d'un cri surgissant d'entre les pierres, dans un épisode aux accents kafkaïens, tantôt les premiers émois de l'amour. Cet amour qui relève encore du domaine de la sensation pure se manifeste sous la forme d'une tension en quête de son mode d'expression.

Dangereux, impossible et fragile (on songe à Palais de glace, dans lequel Vesaas restitua avec tant de justesse le bruissement incertain des sentiments de l'enfance), il laisse pourtant en se révélant le cœur "léger, agile et différent". "Différent" est ici le maître-mot. Comme souvent chez Vesaas, dont l'art limpide de la miniature s'accomode à merveille de l'exercice de la nouvelle, "l'action" surgit de l'insignifiant. Elle se résume à un incident et aux soubresauts intérieurs dont il est le catalyseur. Même quand il faut lutter avec les éléments - la glace qui cède et retient le cheval prisonnier, la neige qui menace d'ensevelir un homme - la confrontation est d'ordre intime et sa violence rentrée génératrice d'une découverte, d'une réconciliation, d'une épiphanie.
Humain ou animal, chacun des personnages du recueil accède à un autre état d'être. Sur la pointe des mots, à la lisière de ce qui se ressent et ce qui se comprend (plus intuitivement que rationnellement), c'est à un passage qu'invite Tarjei Vesaas.
Le lecteur qui consent avec lui au mystère des choses en reste à son tour changé.

Philippe Sizaire. RIL N¡ 32. Août 1997


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